Top | Scene 1 | D'un côté, et dans une partie du fond, le thèâtre représente une montagne garnie de rochers et d'arbres touffus. Une grotte paroît au pied; il en sort une source qui tombe avec rapidité. Sur la croupe de la montagne, dans le fond, s'élève un temple dont la porte est ouverte, et où l'on voit brûler une lampe. Un escalier conduit à ce temple, et à la droite un chemin tortueux et escarpé, conduit du temple au sommet de la montagne. De l'autre côté, s'élève une aile du palais de Créon, des jardins et des édifices.
Le ciel est très obscur; on entend gronder le tonnerre; le théâtre ne reçoit de lumière que celle des éclairs qui brillent par intervalle. Après un bruit d'orage, on voit Néris sortir du côté du roi avec les deux fils de Médée; ils portent la couronne et la robe destinées à Dircé. Quand ils sont devant le temple, ils s'arrêtent et se saluent; ils passent ensuite en silence au palais, où ils entrent. L'orage continue, et après quelques momens on voit Médée descendre lentement du sommet de la montagne. Sur sa tête est attaché un voile noir, parsemé d'étoiles d'argent, et qui flotte sur ses épaules; ses cheveux sont épars, sa tunique est rouge et noire; elle a les bras nus, et tient un poignard dans la main. | | MEDEE
(seule devant le temple)
Dieux, qui m'avez prêté vos secours destructeurs,
Dieux du Styx, hâtez-vous d'accomplir vos faveurs.
La mort sur ce palais va déployer ses ailes,
Et le couvre déjà des ombres éternelles.
Il me reste à frapper les plus terribles coups;
Venez, fils de Jason, je n'attends plus que vous.
C'est vous que j'ai choisis pour couronner mes crimes .
Chers enfants, vous serez mes plus belles victimes;
Mais ne m'accusez point de verser votre sang;
C'est Jason, c'est lui seul qui vous perce la flanc.
L'univers apprendra comment je fus vengée;
Il saura ce que peut une femme outragée.
Et mon nom immortel va devenir l'effroi
Des indignes époux qui trahiront leur foi.
On vient...Filles du Styx, soutenez mon courage;
D'un reste de faiblesse affranchissez mon coeur;
N'y laissez régner que la rage.
Juste ciel! Quel frisson! Quelle subite horreur!
O nature! que vais-je faire?
Que vois-je!... | Scene 1 | Le Théâtre représente une galerie du palais de Créon | | PREMIERE FEMME
(à Dircé)
Quoi? Lorsque tout s'empresse à remplir vos souhaits,
Vous conservez encore cette sombre tristesse?
De nos coeurs attendris partagez l'allégresse:
Le Ciel va vous combler de ses plus doux bienfaits.
DEUXIEME FEMME
Demain, quand la brillante aurore
A ces heureux climats annoncera le jour,
L'hymen présenté par l'amour
Rangera sous vos loix l'amant qui vous adore.
CHOEUR
Quoi? Lorsque tout s'empresse à remplir vos souhaits,
Vous conservez encor cette sombre tristesse?
De nos coeurs attendris partagez l'allégresse:
Le Ciel va vous combler de ses plus doux bienfaits.
DIRCE
Hélas, je l'avoûerai! l'avenir m'épouvante;
Les dieux m'offrent en vain leurs plus chères faveurs.
A mes regards troublés l'hymen ne se prèsente
Que sous les plus tristes coleurs.
PREMIERE FEMME
Chassez au loin ce funeste présage
Sans trouble, sans effroi, livrez-vous à l'amour:
Tous ces pressentimens ne sont qu'un vain nuage
Qui ne peut obscurcir l'éclat d'un si beau jour.
DIRCE
Jason me dit qu'il m'aime et me sera fidèle
Et cependant Médée avoit reçu sa foi:
S'il a pu la quitter pour moi ne peut-il pas
Un jour m'abandonner comme elle...
DEUXIEME FEMME
Jason s'est dégagé d'un hymen odieux;
Il fut contraint de fuir une Épouse inhumaine,
Mais aujourd'hui que la vertu l'enchaîne,
Rien ne peut plus briser vos noeuds.
CHOEUR
Chassez au loin ce funeste présage;
Du plus charmant des dieux vos voeux sont écoutés.
Bientôt le tendre hymen effacera l'image
Des malheurs que vous redoutez...
DIRCE
Je cède à ta voix consolante,
Douce amitié, tu soulages mon coeur!
Et toi qui me promets un destin enchanteur,
Amour, ne trompe pas mon âme confiante.
DIRCE
Hymen! viens dissiper une vaine frayeur;
La sensible Dircé t'abandonne son âme.
Viens! pénètre mes sens de ta divine flamme!
C'est de toi seul que j'attends le bonheur.
Écarte loin de moi la fatale étrangère
Dont les enchantemens ont séduit un héros!
Que son aspect, que sa colère
Ne trouble point notre repos.
Hymen! viens dissiper une vaine frayeur, etc… | Scene 2 | Médée, Néris, les deux fils de Médée | | NERIS
Chers enfants, embrassez votre mère.
MEDEE
Fuyez, fuyez...
NERIS
Non, non, jetez-vous dans ses bras;
C'est elle.
MEDEE
Malheureux! vous courez au trépas.
Ah! Ne me touchez pas de vos mains innocentes.
NERIS
Chers enfants pressez-la de vos mains caressantes.
MEDEE
Je sens mon coeur frémir et mon sang se glacer.
Ma vengeance est perdue; il y faut renoncer.
NERIS
Qu'ai-je vu, justes dieux! Quel dessein sacrilège?
MEDEE
Mes fils!
NERIS
Faibles enfants, que le ciel vous protège!
MEDEE
Mes fils! c'en est donc fait, vous l'emportez sur moi!
La nature est plus forte, et je cède à sa loi.
O moment douloureux! O moment plein de charmes!
Douceur inexprimable! O mortelles alarmes!
Mon faible coeur en proie à mille sentimens,
S'ouvre à tous plaisirs, souffre tous les tourmens.
Du trouble affreux qui me dévore
Rien en peut égaler l'horreur!
Non! O chers enfants, je vous adore!
Et j'allois vous percer le coeur!
Dieux immortels! Sainte justice!
Vous avez désarmé mon bras!
Sauvez-moi; ne permettez pas
Ce détestable sacrifice!
Périsse le parjure auteur de mes souffrances?
Que sa mort, que son sang suffise à mes vengeances,
La traître! Ah! son nom seul réveille mon courroux!
Du trouble affreux qui me dévore
Rien en peut égaler l'horreur.
O chers enfants, je vous adore!
Et malgré moi je sens encore,
En vous voyant, renaître mes fureurs!
NERIS
Ah! si vous fûtes outragée,
Votre haine triomphe, et n'est que trop vengée:
Votre rivale touche à ses derniers momens.
MEDEE
Que dis-tu?
NERIS
La princesse a reçu vos présens;
Elle s'en est parée au lever de l'aurore,
Et sans doute déja le poison la dévore
Que ce trépas suffise à vos ressentimens
MEDEE
Est-ce assez de son sang pour laver mon injure?
Est-ce assez d'une mort pour punir le parjure?
NERIS
Ah! cherchons le moyen de sauver ses enfants!
O reine infortunée! ô ma chère maîtresse!
Tandis que vos enfants sont encore avec vous
Livrez votre âme à la tendresse;
Je dois bientôt hélas! les rendre à votre époux.
MEDEE
Néris, mon oeil s'égare, et ma raison se trouble,
Ma pitié s'est éteinte et ma rage redouble.
Si mes fils te sont chers, éloigne-les de moi.
Leur aspect me tourmente; il me glace d'effroi.
Des plus noires fureurs mon âme dévorée,
Par l'amour maternel est trop mal assurée.
Cache-les...cache-les...
NERIS
Hélas! Et dans quel lieux?
La mort dans ce palais va s'offrir à leur yeux.
Vous les avez partout environnés d'abîmes.
MEDEE
éloigne-les de moi, le temps est précieux.
Redoute cette main accoutumée aux crimes;
Conduis-les dans ce temple, au pied des saints autels
Obtiens-leur contre moi l'appui des immortels.
Cache-les...
NERIS
Malheureux! Hâtez-vous de me suivre
Dieux! à ces innocens prêtez votre secours;
Couvrez-les de votre ombre, et défendez leurs jours. | Scene 2 | Les précédentes, Créon, Jason | | CREON
(à Jason, en entrant)
Prince, rassurez-vous; son enterprise est vaine.
Mon palais, mes soldats protégeront vos fils:
Innocens des forfaits que leur mère a commis,
Je ne souffrirai point qu'ils en portent la peine.
DIRCE
(à Créon)
Eh! quel trouble, seigneur, alarme vos esprits?
CREON
Le fils de Pélias, prompt à venger son père
De Médée en ce jour poursuit les attentats:
Ignorant en quels lieux elle a porté ses pas,
Il voudrait sur ses fils étendre sa colère:
Il les fait demander, et d'un ton menaçant
Il prétend me forcer à répandre leur sang.
JASON
Ah! leur sort ne doit plus alarmer ma tendresse,
Si Créon et les dieux protègent leur faiblesse.
CREON
Oui, je les défendrai, j'en ai donné ma foi;
Ces murs seront pour eux un temple tutélaire
Punir dans les enfants les forfaits de leur mère,
Est digne d'un tyran, mais indigne d'un roi.
JASON
Tandis que de l'hymen on prépare la fête,
Belle Dircé, souffrez que nos guerriers
Vous offrent le tribut de leurs plus beaux lauriers
Et portent à vos pieds le prix de leur conquête. | Scene 3 | Médée | | Scene 3 | Créon, Dircé, Jason, Femmes de Dircé, trouppe des Argonautes, Femmes Corrinthiennes, Soldats, Peuple de Corinthe.
Créon et Dircé se sont placés sur une trône; toute la trouppe passe devant eux, et porte en triomphe la toison d'or, et une image du vaisseau Argo. | | CHOEUR
(pendant la marche)
Belle Dircé, l'invincible Jason
Porte à vos pieds le prix de sa victoire;
Il vous offre en tribut ses lauriers
Et sa gloire et de Colchos la brillante Toison.
DIRCE
Colchos! Colchos!
DEUXIEME FEMME
Quels que soient les lauriers que dispense Bellone
Les myrthes de Paphos ont cent fois plus d'appas;
C'est des mains de Vénus que le dieu des combats
Reçut sa plus belle couronne.
FEMMES DE DIRCE
Belle Dircé, l'invincible Jason
Porte à vos pieds le prix de sa victoire;
Il vous offre en tribut ses lauriers
Et sa gloire et de Colchos la brillante Toison.
DIRCE
Colchos!...ô nom fatal! ô funeste présage!
JASON
Que vois-je? Quel sombre nuage
Obscurcit l'éclat de vos yeux?
(à ces mots Dircé descend du trône, Jason et Créon le suivent sur le devant du Théâtre; et le peuple témoigne de l'inquietude sur l'effroi de Dircé)
CREON
Ma fille, un noir chagrin troublerait-il tes voeux?
Ah! tu n'as point de maux que mon coeur ne partage?
Pourquoi me les cacher? Parle.
DIRCE
Ciel!
CREON
Je le veux.
DIRCE
Ah! mon père. Ah! seigneur, pardonnez si des larmes
Se mêlant au bonheur que l'hymen me promet.
Mais sans cesse un trouble secret
M'agite et me remplit d'alarmes.
Plus les noeuds de l'hymen ont pour moi de douceurs,
Plus je dois redouter la fortune jalouse.
Le dirai-je, seigneur? Vous avez une épouse,
Et son nom seul inspire la terreur.
Tout l'univers connoit les fureurs de Médée;
Chaque jour, chaque instant m'en retrace l'idée;
Je crois toujours la voir, l'oeil ardent de courroux.
Venir, le fer en main, réclamer son époux...
Dieux!
JASON
Ah! ne craignez rien de sa rage impuissante;
En proie à ses remords, infortunée, errante,
Elle expie aujourd'hui tous les maux qu'elle a fait
Et ses malheurs surpassent ses forfaits.
DIRCE
Mais elle est votre épouse; elle est abandonée.
JASON
Depuis que j'ai rompu ce fatal hyménée
Dans des désert lointains, elle a porté ses pas,
Et peut-être le ciel, par un juste trépas
A mis fin à sa destinée.
DIRCE
Vous connoissez son art; quoique loin de ces lieux
Un seul jour, un moment peut l'offrir à nos yeux:
Les élemens, l'enfer sont soumis à ses charmes,
Pour reprendre ses droits, elle va tout tenter.
Son art, sa fureur et ses larmes:
Si je m'unis à vous, j'ai tout à redouter.
JASON
Eloigné pour jamais d'une épouse cruelle
Qui fit ma honte et mon malheur,
Je perds le souvenir d'une trop longue erreur,
Et mon destin se renouvelle.
L'hymen fit mon tourment, il fera mon bonheur.
Vos attraits, vos vertus ont su toucher mon coeur
Ils rendront ma chaîne éternelle.
Le fortuné Jason le jure à vos genoux:
Rien ne peut désormais le séparer de vous.
CREON
Ah! c'est trop s'occuper d'un présage funeste,
Ma fille, espérons tout de la bonté céleste!
Et laissons à ces dieux qui doivent vous unir
Le soin de dévoiler le douteux avenir.
CREON , DIRCE, JASON, CHOEUR
CREON
Dieux et Déesses tutélaires
Veillez sur mes enfants;
Je vous invoque tous.
Ne rejetez pas mes prières.
Qu'il soient les plus heureux époux
Et je serai le plus heureux des pères.
TOUS
Tendre Hymen! Viens serrer les liens les plus doux
Et daigne exaucer nos prières.
JASON et DIRCE
Doux Hymen! ta céleste voix
Porte le calme dans mon âme.
Nous ne connoissons que tes lois,
Nous n'éprouverons que ta flamme.
TOUS
Doux Hymen! Pénètre deux époux de ta divine ardeur;
De myrthes immortels, viens tresser leurs couronnes.
L'amour nous promet le bonheur
Mais c'est toi seul qui nous le donnes. | Scene 4 | Jason, peuple de Corinthe en tumulte. | | Scene 4 | Les précédentes, Le Coriphée. | | LE CORIPHEE
(à Créon)
Seigneur, une étrangère arrive dans ces lieux;
Du temple d'Apollon, elle se dit prêtresse;
Et sur l'hymen de la princesse,
Elle vient révéler les oracles des dieux.
DIRCE
Ciel!
LE CORIPHEE
D'une seule esclave elle marche suivie;
Nous ignorons encore son nom et sa patrie.
Tout en elle est mystérieux.
Un long voile la couvre et la cache à nos yeux
Le peuple l'environne et la suit en silence.
CREON
Conduisez-la vers nous.
LE CORIPHEE
Seigneur elle s'avance. | Scene 5 | Jason, Peuple et Néris.
Néris sort du temple avec le plus grande précipitation, court à Jason, et lui dit d'une voix tremblante et entrecoupée: | | Scene 5 | Les précédentes, Médée couverte d'un long voile. | | MEDEE
(dans le fond et d'une voix forte)
Voici donc le palais où l'illustre Jason
Étale ses lauriers et l'or de la toison.
JASON
Juste ciel! quel accens!
DIRCE
Ils me glacent de crainte.
Créon
Que vois-je? quel effroi!
MEDEE
(fait quelques pas, d'un ton noble et calme)
Peuple et roi de Corinthe
Je ne viens point ici répandre la terreur;
Vous pouvez m'écouter sans trouble, sans frayeur.
JASON
(à part)
Dieux!
MEDEE
(au peuple en s'avançant)
Ce n'est point vers vous que mon destin me guide;
Je n'en veux qu'à Jason...
(elle se dévoile)
Me connais-tu, perfide?
JASON
Médée!
ARGONAUTES
O ciel! fuyons son aspect odieux.
PEUPLE
Fuyons, fuyons son aspect odieux. | Scene 6 | Jason, Peuple, Néris, Médée et les Euménides.
A peine Jason a prononcé le dernier vers, le temple s'ouvre; on en voit sortir. Médée qui tient encore le poignard, et entourée des trois Euménides qui se grouppent avec elle sur l'escalier du temple; Jason s'arrête consterné, et le peuple recule d'effroi. | | Scene 6 | Médée, Jason, Créon, Dircé, soutenue par ses femmes. | | MEDEE
(à Jason)
Tu croyois que l'exil m'écartoit de ces lieux;
Et menant à l'autel ta nouvelle conquête,
Oubliant mes bienfaits, brûlant de m'outrager,
De ton parjure hymen, tu disposois la fête;
Mais je respire encore, et c'est pour me venger.
CREON
De quel droit, de quel front, étrangère et coupable,
Osez-vous pénétrer au sein de mes états?
MEDEE
Du droit des malheureux que la fortune accable.
CREON
Vos malheurs? Ah! plutôt, dites vos attentats.
Pensez-vous que Créon ne le punisse pas?
Impunément croyez-vous qu'on m'offense?
MEDEE
Je vous ai déjà dit, seigneur, que ma vengeance
Ne prétend effrayer ni vos peuples ni vous.
Je sais trop dans ces lieux que je suis étrangère
Mais j'y viens réclamer un infidèle époux,
Et rompre un hymen adultère.
DIRCE
O présages trop vrais! Malheureuse! Ah! mon père.
CREON
Ma fille, ne crains rien d'un impuissant courroux
En vain notre ennemie affronte la tempête;
La foudre va bientôt éclater sur la tête.
Avant que le soleil se cache dans les flots,
Elle ne pourra plus troubler notre repos.
MEDEE
(à Créon)
Modérez-vous, seigneur, et d'une infortunée
Gardez-vous, croyez-moi, d'irriter la douleur.
Les biens sont passagers, respectez le malheur;
J'en suis un triste exemple. Une seule journée
Peut d'un règne brillant effacer la splendeur.
Si Jason, si Dircé sont chers à votre coeur,
Rompez, rompez, Créon, ce fatal hyménée.
Mais si vous ajoutez à mes ressentimens,
Si vous forcez Jason à trahir ses sermens,
Des plus noires horreurs mon âme possédée...
Tremblez! à ses fureurs vous connoitrez Médée.
(Dircé tombe entre les bras de ses femmes)
CREON
Ma fille, calme ta frayeur;
Je saurai de Médée étouffer la fureur;
Au fils de Pélias il faut faire justice;
Acaste la demande, et son courroux vengeur
Fera de la coupable un affreux sacrifice.
MEDEE
Cette lâche menace est indigne d'un roi.
Je pourrois d'un seul mot...Mais je sais me contraindre?
Les ennemis qui ne sont point à craindre
N'ont rien à redouter de moi.
CREON
C'est à vous à trembler, Femme impie et barbare!
Créon de vos forfaits arrêtera le cours.
Frémissez des tourmens que l'enfer vous prépare;
Médée a vu, le dernier de ses jours.
DIRCE
Malheureuse! O Ciel! prête-nous ton secours.
FEMMES DE DIRCE
Grand dieux! O Ciel! prête-lui ton secours.
(Créon sort avec Dircé que ses femmes soutiennent) | Scene 7 | Médée, Jason. | | MEDEE
Eh bien, Jason,vous gardez le silence,
Vous détournez les yeux, vous fuyez mon aspect?
Ingrat, de tout ce que j'ai fait,
Voilà donc la reconnoissance!
Dans les plus grands périls m'oser abandonner?
M'enlever mes enfants, choisir une autre épouse?
Ne redoutais-tu rien de ma fureur jalouse?
Pensais-tu que mon coeur sût jamais pardonner?
Mais parle! à qui dois-tu les lauriers et ta gloire,
La superbe toison qui brille en ce palais...
Tout enfin?
JASON
Je vous dois une illustre victoire,
Je le sais; mais mon coeur rejette des bienfaits
Qui vous couvrent de honte et coûtent des forfaits.
MEDEE
Parjure! Oses-tu bien me reprocher mes crimes?
Ne sont ils pas les tiens? Et n'est-ce pas pour toi
Que j'immolai tant d'augustes victimes?
Comme le tien mon coeur a-t-il manqué de foi?
Pour toi seul je trahis, j'abandonnai mon père,
Pour toi j'assassinai, je déchirai mon frère;
Et lorsque Pélias déscendit au tombeau,
Parle, était-ce pour moi qu'un pieux parricide
Au sein de ce vieillard enfonça le couteau?
Voilà mes attentats; je les connais, perfide;
Je n'en perdrai jamais le cruel souvenir;
Mais crains; la source encor n'en est point épuisée;
A les surpasser tous, je mettrai mon plaisir,
Tu te repentiras de m'avoir abusée;
Et si j'ai tant osé pour te prouver ma foi,
Que n'oserai-je point pour me venger de toi?
JASON
Vous vous plaignez que je vous ai trahie
Vos transports, vos excès savent trop m'excuser;
Tout parle contre vous: en voulant m'accuser,
Votre fureur me justifie.
Oui, d'un honteux hymen j'ai brisé les liens,
J'ai cherché pour mes fils un asile à Corinthe,
Voilà mes trahisons, mes crimes, j'en conviens:
Ils ne m'inspireront ni repentir ni crainte.
Vengez-vous sur moi seul, blâmez mon nouveau choix;
Tonnez contre Jason, mon coeur vous le pardonne
Mais dans le monde entier, quand tout vous abandonne
Soyez humble à Corinthe et respectez ses lois.
MEDEE
Écoutez-moi, Jason, pour la dernière fois.
Vous voyez de vos fils la mère infortunée
Criminelle pour vous, par vous abandonée.
Vous savez quel fut son amour,
Ingrat! il vous fut cher, un jour!
Délaissée aujourd'hui, proscrite malheureuse,
Avant de vous connaître elle était vertueuse!
Son coeur ignorait les chagrins,
Enfants des passions terribles.
Toutes ses nuits étaient paisibles
Et tout ses jours étaient sereins.
Je possédais alors une famille, un père:
J'ai tout sacrifié pour vous;
A l'univers entier je deviens étrangère,
Pour tant de biens perdus rendez-mois mon Époux,
Je ne veux que vous seul, j'abjure ma colère,
Médée en pleurs, Médée embrasse vos genoux;
Pour tout ce qu'elle a fait, rendez-lui son Époux...
Ingrat!
JASON
Regrets tardifs! repentir inutile!
Vous avez de Créon excité le courroux.
MEDEE
Si le roi courroucé nous refuse un asile,
Venez, fuyez pour moi comme j'ai fui pour vous.
Mes malheurs m'ont laissé peu de momens à vivre.
Quelques jours seulement, si vous daignez me suivre,
Mon époux de ma vie adoucira la fin,
Et Médée enmourant bénira son destin.
JASON
Qui je quitte Créon et que je la trahisse!
De vos emportemens il me croirait complice.
Que j'expose mes fils à exil, à la mort!
Non, non, rien ne peut plus réunir notre sort;
Je connois vos fureurs et vos perfides charmes.
MEDEE
(Le traître! il méprise mes larmes!)
Va! je n'implore plus la stérile pitié
Dont ton lâche coeur est avare:
Je ne dis qu'un mot; choisis, choisis, barbare,
Ou l'amour le plus tendre, ou mon inimitié.
JASON
Pourquoi fair éclater une plainte importune?
Vous ne devez qu'à vous toute votre infortune
Pour vos enfants plutôt consultez votre amour.
Créon m'offre pour eux un asyle en sa cour;
D'un si brillant hymen, je dois chérir la chaîne.
MEDEE
Tu la choisis? Eh bien! je te donne ma haine.
Fuis, laisse-moi; mais tremble, un monstre te poursuit.
Dans l'aveugle fureur qui seule me conduit,
Rien n'est sacré pour moi; va, ta perte est certaine.
MEDEE, JASON
Perfides ennemis, qui conspirez ma peine;
Du Ciel et des Enfers, j'en atteste les dieux!
Vous ne formerez point cet hymen odieux.
JASON
Réprimez, justes dieux, sa fureur inhumaine
Et ne permettez pas que d'horribles forfaits
Troublent mes bienfaiteurs et souillent leur Palais.
MEDEE, JASON
O fatale Toison, ô conquête funeste,
Combien vous coûterez, et de sang et de pleurs!
MEDEE
O Colchos pour punir l'ingrat que je déteste,
Colchos inspire-mois tes plus noires horreurs!
JASON
O combles de forfaits, ô criminelle audace
Fuyez, dérobez-vous au comp qui vous menace.
MEDEE
Moi fuir! moi craindre, ingrat? Si tel est son malheur,
Ingrat, ton épouse en fuyant te percera le coeur.
MEDEE, JASON
O fatale Toison, ô conquête funeste,
Combien vous coûterez, et de sang et de pleurs!
JASON
D'un Roi puissant, d'un roi redoutez la colère...
MEDEE
Mon père aussi régnait et j'ai trahi mon père...
JASON
Vous courez à la mort...
MEDEE
Mais avant de mourir
Je saurai te laisser un amer souvenir.
JASON
Réprimez, justes dieux, sa fureur inhumaine
Ecartez les forfaits qui menacent ces lieux!
MEDEE
Perfides ennemis, qui conspirez ma peine;
Vous ne formerez point cet hymen odieux.
MEDEE, JASON
O fatale Toison… | Top Act 1 | Scene 1 | Le Théâtre représente, d'un côté, une aile du palais de Créon; on en descend par un large escalier. A l'extrémité de cette aile, un portique élégant et vaste conduit au temple de Junon, qui est situé vis-à-vis, placé obliquement, de manière que la porte et la facade de ce temple soient en vue du spectateur. | | MEDEE
(seule decend précipitemment l'escalier du palais)
O détestable hymen! ô fureur! ô vengeance!
O de tous mes forfaits indigne récompense!
Tu me défends, cruel, de revoir mes enfants!
Après une si longue, une si dure absence,
Je ne jouirai point de leurs embrassemens!
Ah! mon âme à ce coup ne s'est point attendri;
Cette horreur me surpasse, et Jason m'a vaincue.
Et je lui laisserais cette affreuse douceur!
Et Médée en mourant ne seroit point vengée...
Déployons tout notre art, marchons droit à son coeur.
Au fier ressentiment d'une mère en fureur.
Ce que l'affreux Caucase a vu de plus barbare,
Corinthe le verra sur son isthme embrasé;
Je quitterai Jason, comme je l'épousai.
L'enfer m'unit à lui, que l'enfer nous sépare!
Accourez à ma voix, tristes divintés,
Du séjour de la mort infâmes déités;
O vous! depuis longtemps mes compagnes, mes guides,
Terribles Euménides,
Venez, dieux destructeurs, déités vengeresses,
Venez, semez partout et la mort et l'effroi;
Seuls dieux, seules déeses
Que je puisse implorer, et seuls dignes de moi!
Et toi, cesse un moment d'épouvanter les ombres;
Sors, cruelle Alecton; sors des royaumes sombres,
Agite tes serpens, accours le fer en main,
Telle que tu parus à mon fatal hymen.
Que le roi de Corinthe, et sa fille insolente,
Tombent, tombent frappés des plus terribles coups!
Qu'ils meurent par mes mains, et que leur mort soit lente.
Aux yeux de mon parjure époux,
Porsuivez, accablez, déchirez son amante;
Sans pouvoir la sauver, qu'il la voie expirante,
Qu'il vive! | Scene 2 | Médée, Néris | | NERIS
(accourt, et dit en entrant)
O jour affreux! ô déplorable sort!
MEDEE
Qu'entends-je? Que me veut mon esclave fidèle?
NERIS
(avec la plus grand vitesse)
Hélas! tout vous trahit; une troupe cruelle
Entoure le palais, demande votre mort.
Le roi même, du peuple approuve le transport.
Il vous cherche, il menace, il veut un sacrifice;
Fuyez, dérobez-vous à l'horreur d'un supplice.
Dans un moment peut-être il n'en sera plus tems;
Eh quoi! vous hésitez? Ah! ma chère maîtresse,
Tout s'arme contre vous, l'heure fuit, le temps presse,
Suivez mes pas... Ah! dieux! le roi vient.
MEDEE
Je l'attends. | Scene 3 | Médée, Créon, Néris, Gardes de Créon | | CREON
(à Médée)
O vous! dont l'oeil farouche et dont la bouche impie
Présage de noirs attentats,
Fuyez, je vous proscris; sortez de mes états,
Mais l'Époux de ma fille obtient grâce pour vous.
Et ses pleurs généreux ont calmé mon courroux.
Hâtez-vous donc de fuir; abandonnez Corinthe,
Que votre aspect remplit et d'horreur et de crainte.
Allez, et rendez grâce au héros trop humain
Qui vous sauve un supplice et désarme ma main.
MEDEE
Quand vous me proscrivez, quand mon époux me chasse,
Médée est trop heureuse, et Jason lui fait grâce,
Je croyois que l'exil était un châtiment,
Combien je me trompais! c'est un soulagement,
Oui, seigneur, j'en conviens, je suis trop fortunée,
Qu'a des tourmens si doux ma peine soit bornée...
Mais pourtant, de quel droit m'osez-vous exiler?
CREON
Je ne m'abaisse point à le dissimuler,
Je vous crains, vous, votre art ses funestes charmes,
Vos noirs enchantemens; je crains jusqu'à vos larmes.
Armez-vous contre moi, déployez vos fureurs,
Je les redoute moins que vos fausses douceurs.
Vous tramez contre nous quelque dessein perfide,
De Jason tôt ou tard vous voudrez vous venger;
Meurtre, poison et parricide,
Il n'est aucun forfait qui vous soit étranger.
MEDEE
Pourquoi de ces forfaits gardez-vous le salaire?
Ne leur devez-vous pas tous ces fameux héros
Dont vous êtes si vain, dont la Grèce est si fière!
Dites-moi, si Médée eût respecté son père,
Que serait devenu le vainqueur de Colchos,
Et Castor, et Pollux, et le divin Orphée,
Et de la toison d'or le superbe trophée,
Qui sont autant de fruits de ces mêmes forfaits,
Et qui...Mais les ingrats rougissent des bienfaits.
MEDEE
Ah! Du moins à Médée accordez un asile,
J'y finirai mes jours solitaire et tranquille,
Heureuse quelquefois d'embrasser mes enfants,
J'oublierai que Jason a trahi ses sermens.
CREON
Par de feintes douceurs vous croyez me surpendre.
MEDEE
J'embrasse vos genoux, Créon, daignez m'entendre,
Au nom de vos enfants laissez-vous attendrir, Créon.
CREON
Sortez de mes États, non, rien ne peut me fléchir.
MEDEE
O rivage du Phase, ô ma chère Patrie!
O d'un bien qui n'est plus, douloureux souvenir.
CREON
Soeur criminelle, fille impie,
Fuyez de mes États! Fuyez! Rien ne peut m'attendrir.
MEDEE
O Jupiter! Que l'auteur de ma peine,
Ne se dérobe pas à ton oeil pénétrant.
NERIS
(à Médée)
O Ciel! D'un Roi puissant n'irritez pas la haine,
Modérez s'il se peut son courroux menaçant, ô Ciel.
CREON
Dieux! écartez de nous sa fureur inhumaine.
NERIS
Ciel! D'un Roi puissant n'irritez pas la haine,
Modérez s'il se peut son courroux menaçant, ô Ciel.
CREON
Détourne, ô Jupiter, ce présage effrayant, oui.
MEDEE
Je tombe à vos genoux, Créon, daignez m'entendre...
CREON
Par de faintes douceurs vous croyez me surprendre!
MEDEE
Eh bien! je m'y soumets pourque tout m'abandonne.
Je subirai l'exil que mon époux ordonne!
Mais d'us jour seulement daignez le différer,
Pour mon triste coeur s'y puisse préparer.
CREON
Vous demandez un jour pour quelque nouveau crime!
MEDEE
Que puis-je contre vous au comble du malheur?
Pouvez vous refuser un jour à ma douleur?
CREON
Quoique de ma bonté je puisse être victime,
Je sens que d'un Tyran je n'ai pas le rigueur.
Je vous donne ce jour quoi qu'il coûte à mon coeur.
MEDEE, NERIS
Que d'un si grand bienfait le Ciel, vous récompense.
CREON
Vous triomphez de ma clémence,
Mais tremblez, je vous livre au plus cruel trépas,
Si le jour renaissant vous trouve en mes États.
MEDEE
(avec une extrème douleur)
O mon Père! ô Colchos! ô ma chère Patrie!
CREON
Retournez à Colchos que vous avez trahie.
CHOEUR DE GARDES
Rendez le calme à nos heureux climats.
MEDEE
O Jupiter! que l'auteur de ma peine,
Ne se dérobe pas à ton oeil pénétrant!
NERIS
(à Médée)
Au nom des dieux! Modérez votre haine!
N'irritez pas d'un Roi le courroux tout puissant.
CREON, CHOEUR
Juste dieux! étouffez sa fureur inhumaine
Détourne, ô Jupiter, ce présage effrayant, oui.
MEDEE
O Jupiter… | Scene 4 | Médée, après son imprécation, est tombée sur l'escalier du palis; elle y paroît absorbée dans une profonde et sinistre rêverie. Néris s'en approche timidement, et cependant à une certaine distance; et n'osant interrompre le silence farouche de sa maîtresse, elle semble se dire à elle-même. | | NERIS
Malheureuse princesse! O femme infortunée!
Des mortels, d'un époux, des dieux abandonée,
Combien de maux encore il vous reste à souffrir!
Dans des déserts lointains, trainant votre misère
Sous un ciel étranger il vous faudra mourir:
Et quelle terre hospitalière,
Qu'elle maison voudra vous accueillir?
Je vous verrai donc fuir de rivage en rivage
Sans trouver un ami qui vous tende la main:
Oui, les malheurs de l'esclavage
Sont moins durs que votre destin.
Ah! nos peines seront communes,
Le plus tendre intérêt m'unit à votre sort!
Oui! Compagne de vos infortunes,
Je vous suivrai jusqu'à la mort,
Mais, que vois-je, quel noir délire
Porte le trouble dans son sein?
Elle s'agite, elle soupire,
Son oeil est égaré, son esprit incertain;
Sans doute elle médite un funeste dessein.
Chère et malheureuse Princesse,
Qui pourroit refuser des larmes à ton sort?
Malheureuse! Oui, je te pleurerai sans cesse!
Je te suivrai jusqu'à la mort!
MEDEE
(à elle-même)
Je profiterai bien de ce jour qu'il me laisse.
(Elle se lève)
Ils mourront. Mais quel coup, quel art assez cruel
Peut assez me venger d'un époux criminel?
O Médée! Est-ce assez pour ta fureur jalouse
De déchirer le sein de sa nouvelle épouse?
Ah! s'il avait un frère? Eh! n'a-t-il pas des fils?
Que dis je? Mes enfants! Dieux cruels! j'en frémis.
Loin de moi, loin de moi cette effroyable idée;
L'horreur de ce forfait épouvante Médée.
NERIS
(à part, de loin)
Son oeil est animé d'une sombre fureur.
Sur qui, grands dieux! tombera sa colère?
Ce n'est point un crime vulgaire
Qu'elle médite dans son coeur
(Elle s'approche)
O ma chère maîtresse! O mère infortunée!
MEDEE
(avec exaltation)
Ne pleure point mon sort, il est trop glorieux.
Je saurai bien troubler un hymen odieux.
O victoire! O triomphe! O brillante journée!
J'abattrai d'un seul coup trois mortels ennemis.
Ah! si de les punir je n'avois la pensée,
A flatter un Tyran, me serais-je abaissée?
O ma chère Néris! tous mes maux sont finis;
Tout mon éclat renaît, et ma gloire est certaine.
J'ai ce jour tout entier; il est à moi ce jour.
O mon coeur! mettrais-tu des bornes à ta haine?
Tu n'en mis point à ton amour.
NERIS
Le palais s'ouvre. Ciel! c'est Jason qui s'avance.
MEDEE
L'ingrat vient-il presser nos funestes adieux?
Ah! combien sa présence est horrible à mes yeux!
Mais en dissimulant, assurons ma vengeance. | Scene 5 | Médée, Jason, Néris (elle se retire dans le fond). | | JASON
Vous voyez les effets d'un aveugle courroux;
Vos fureurs, vos transports sont retombés sur vous.
Oubliant qu'en ces lieux vous êtes étrangère,
Vous ne prenez conseil que de votre colère.
Votre inflexible coeur, toujours prompt à haÎr,
Menace mon repos, jure de me punir.
Vous désirez ma mort; mais malgré votre haine,
Jason de vos malheurs ne peut se réjouir,
Et même en ce moment, sensible à vous servir.
Oui, c'est votre intérêt qui près de vous m'amène,
Et je viens vous offrir tous les soulagemens
Qui peuvent de l'exil adoucir les tourmens.
MEDEE
C'est donc peu qu'au mépris de la foi conjugale,
Le perfide Jason trahisse ses sermens!
C'est donc peu qu'il préfère une indigne rivale
A la mère de ses enfants!
De paraître à mes yeux, le perfide a l'audace.
Par une offre honteuse, il ose m'outrager;
Que dis-je? Il ose envisager
L'épouse qu'il trahit, qu'il délaisse, qu'il chasse.
JASON
Ces reproches cruels...
MEDEE
Ils seront les derniers,
Seigneur; j'apprends enfin à céder à l'orage.
Les maux que j'ai soufferts ont brisé mon courage.
Mon triste coeur n'a plus les sentimens altiers
Que les fils du soleil reçurent en partage;
Je sens qu'un esprit fier, sensible et généreux,
Convient mal aux mortels, quand ils sont malheureux;
Et dans l'abaissement où Médée est réduite,
Elle ne songe plus qu'à préparer sa fuite,
Vous voulez, dites-vous, adoucir mes tourmens;
Vous m'offrez des secours! J'accepte vos largesses,
Mais je demande un bien plus cher que vos richesses
JASON
Que voulez-vous? Parlez.
MEDEE
Laissez-moi mes enfants.
JASON
Dieux! que demandez-vous?
MEDEE
Soit grâce, soit justice;
A ce prix, j'oublierai les maux que j'ai soufferts.
JASON
Vous laisser mes enfants! Quel cruel sacrifice!
MEDEE
Vous en aurez bientôt qui vous seront plus chers.
JASON
Moi, les abandonner! Ah! cessez d'y prétendre.
Je n'y puis consentir.
MEDEE
Jason, daignez m'entendre!
Je réclame mes fils: vous les voulez pour vous;
Que leur amour choisisse, et soit juge entre nous;
Si leurs coeurs innocens, touchés de ma misère,
Reconnaissent ma voix, veulent suivre leur mère,
Ah! ne contraignez pas ce tendre mouvement!
JASON
Je ne puis consentir à leur banissement.
MEDEE
Suis-je assez malheureuse! O rigueur inouie!
Mes fils! mes fils!
JASON
Non, rien ne peut m'en séparer,
Ne le demandez plus, cessez de l'espérer.
Je donnerois plutôt et mon sang et ma vie.
MEDEE
Il les aime. Il suffit; Je vous les laisserai.
Je partirai sans eux; loin d'eux je périrai.
Vous exigez ma mort, j'en fais le sacrifice.
O clarté du soleil! ô céleste justice!
JASON
Les dieux me sont témoins que mon sensible coeur
Vous refuse à regret cette chère faveur.
MEDEE
(en pleurant)
Chers enfants, il faut donc que je vous abandonne!
Mes fils c'est pour jamais, que je vous ai perdus!
Je vivrai loin de vois, votre père l'ordonne:
Je mourrai loin de vous; je ne vous verrai plus.
JASON
(avec émotion)
Vous jouirez encore de leur douce présence!
Jusqu'à votre départ, je les laisse avec vous.
MEDEE
Ah, Seigneur! Un bienfait si doux!
Ne sera pas sans récompense,
Quoi! Je les reverrai, ces fruits de nos amours;
Il me rappelleront ces jours, ce heureux jours.
JASON
(à part)
Douloureux, douloureux souvenir dechirant!
MEDEE
(à part)
O justice éternelle! ô contrainte cruelle!
JASON
(à part)
Vainement de mon coeur je cherche à l'effacer.
MEDEE
(à part)
Tu payeras cher les pleurs que je feins de verser.
(Dans le moment des prétres sortent du temple, et vont au palais: Jason les voit.)
JASON
Créon doit à l'autel offrir un sacrifice;
Il veut à mes enfants intéresser les dieux,
Je vais prier le Ciel de vous être propice.
MEDEE
Vous me quittez Jason? ô funestes adieux!
JASON
Vivez, vivez heureuse!
MEDEE
(à Jason)
Est-il possible, cruel, que je le sois sans vous.
JASON
(avec attendrissement à part)
Oubliez, oubliez un malheureux époux,
Jouissez d'un destin paisible.
C'en est donc fait, ô dieux, son coeur est inflexible.
Que je le sois sans vous?
JASON
(à part)
O larmes d'une mère, ô touchant souvenir.
Vainement de mon coeur, je veux vous effacer.
MEDEE
(à part)
O justice éternelle, ô contrainte cruelle!
Tu payeras cher les pleurs que je feins de verser! | Scene 6 | Médée, Néris | | MEDEE
Fais des voeux pour tes fils: je vais les exaucer.
L'enfer signalera mon départ de Corinthe.
O ma chère Néris! quelle affreuse contrainte!
NERIS
Ah! puisqu'on vous permet de revoir vos enfants,
Hâtez-vous de jouir de leurs embrassemens.
MEDEE
Mes enfants? Je les hais, je ne suis plus leur mère,
Je ne connois plus d'eux que le nom de leur père.
NERIS
D'où vous vient pour vos fils ce transport furieux?
MEDEE
Cesse de m'en parler, ils me sont odieux.
O toi! mon esclave fidele,
Ecoute mes projets, et seconde mes voeux.
Ton coeur va s'effrayer, ma vengeance est cruelle,
Mais il n'est plus pour moi de crime assez affreux.
Ecute: tu prendras cette robe brillante,
Cette riche couronne, et tous ces ornemens,
Du soleil mon aÎeul, magnifiques présens;
Mes fils les offriront à la nouvelle amante.
NERIS
Pensez-vous que Dircé les accepte de vous?
MEDEE
Les présens des dieux mêmes appaisent le courroux;
Ma rivale craindra de me faire un outrage;
Sa fierté de mes dons acceptera l'hommage;
Heureuse qu'à ce prix je lui laisse un époux!
NERIS
Quoi! vous voulez vous-même orner votre rivale?
MEDEE
Néris, c'est pour Pluton que je veux la parer
Ces perfides présens, cette robe fatale
Cacheront des poisons qui la vont dévorer.
Mais hâtons-nous de préparer cette parure nuptiale.
NERIS
Quoi! vous vous porterez à ces cruels excès?
MEDEE
Peuvent-ils égaler tous les maux qu'on m'a faits?
Viens, Néris. | Scene 7 | Médée, Néris su le devant de la scène; Créon, Jason, Dircé, Prêtres, soldats, Femmes, Peuple dans le fond.
On voit passer sous le portique Créon, Jason, Dircé et tout le cortège. Ils entrent dans le temple; une partie du peuple reste devant la porte; on entend leur chans, et on voit leur sacrifice. | | MEDEE
Mais quels sons...quels chants se font entendre?
CHOEUR
(au fond, et marche)
Fils de Bacchus, descend des Cieux,
Le front paré d'immortelles guirlandes.
NERIS
Créon et votre époux au Temple vont se rendre.
CHOEUR
Doux Hymen, écoute nos voeux!
Hymen, accepte nos offrandes.
MEDEE
Ah! que j'aime ces chants! qu'ils plaisent à mon coeur!
CHOEUR
Des plus tendres époux, viens hâter le bonheur!
Couronne, ô doux Hymen, cette heureuse journée.
MEDEE
Ecoute aussi ma voix, Hymen, ô hyménée.
CREON
(dans le temple)
Ecoute ma prière.
DIRCE
(dans le temple)
Et reçois mes sermens.
MEDEE
Apportez à l'épouse un brillant diadème?
Que ne puis-je l'offrir et l'attacher moi même!
JASON
(dans le temple)
Hymen, reçois mes voeux, veille sur mes enfants.
MEDEE
Chante, époux fortuné, signale ta tendresse,
Le Tartare applaudit à tes chants d'allégresse.
CHOEUR
Le front paré de Myrthes immortels,
Hâte-toi de descendre, ô céleste hyménée.
MEDEE
Je viens aussi, je viens j'accours à tes Autels,
J'y réclame la foi que Jason m'a donnée!
CHOEUR
(Tout le cortège repasse et rentre au palais)
Le front paré de Myrthes immortels,
Hâte-toi de descendre, ô céleste hyménée.
Reçois de deux époux les sermens solemnels,
Et forme de leurs jours la trame fortunée!
MEDEE
Tu les reçus pour moi ces sermens solemnels!
Souris à ma vengeance, Hymen, ô hyménée!
(Médée s'élance sur l'autel, y arrache un tison sacré, et sort avec Néris en répétant avec rage le dernier vers, et agitant le tison enflammé qui laisse dans l'air une trace de feu.) |
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